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Russie/Chine en Afrique : partenaires ou rivales ?

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Entre la construction d’infrastructures et la présence militaire, la Russie et la Chine optent pour différentes stratégies afin d’étendre leur influence dans les pays africains. Si la présence des deux puissances étrangères prend diverses formes, Pékin et Moscou sont-elles entrées en compétition sur le continent ?

Tous les regards se tournent vers l’Afrique

Au cours de la dernière décennie, l’Afrique a fait l’objet de l’attention de plusieurs pays, principalement en raison de sa richesse en ressources naturelles et de son potentiel commercial. Parmi eux, la Russie et la Chine se sont distinguées par leur présence croissante sur le continent, qui diffère largement par sa nature et ses intentions. Les relations de ces deux pays en Afrique se caractérisent par une rivalité plutôt que par un partenariat, en raison des objectifs qu’ils poursuivent : d’une part, la Chine cherche à tirer profit du marché africain en favorisant la stabilité et la connectivité interrégionale par des investissements à long terme ; d’autre part, la Russie a tiré parti de l’instabilité du continent en réalisant des bénéfices sur la vente d’armes. Par conséquent, même s’il existe des preuves de coopération entre la Russie et la Chine en Afrique, ces dernières sont bel et bien rivales, étant donné leurs objectifs intrinsèquement antithétiques. Il est important d’avoir une idée claire de leurs relations, car cela pourrait éclairer les futurs efforts des deux puissances sur le continent, en particulier à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie et de sa quête de nouveaux marchés en réponse aux sanctions occidentales.

Cet article présentera brièvement l’histoire de la Chine et de la Russie en Afrique depuis la période de décolonisation, puis analysera la nature et les intentions de leur présence sur le continent et les perceptions qu’en ont les pays africains, pour conclure en indiquant pourquoi la Chine et la Russie sont effectivement rivales et quelles sont les implications politiques potentiellement pertinentes pour l’Afrique et l’Occident.

Des histoires différentes sur le continent

La décolonisation de l’Afrique a permis à la Chine et à l’Union soviétique de devenir des superpuissances en exportant leur idéologie et en exploitant les marchés nouvellement ouverts. Cependant, l’histoire des deux pays est très différente.

D’une part, la Chine s’est engagée avec les États africains depuis la guerre froide, mais les relations ont pris un tournant en 2000 lors du premier Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC) qui a convoqué 44 pays africains à Pékin et a marqué le début d’une coopération commerciale étroite. En effet, en dix-neuf ans, le volume des échanges entre le continent et la Chine est passé de 10 milliards à 192 milliards de dollars en 2019. Le projet phare qui les relie est la Belt and Road Initiative (BRI), lancée pour la première fois par le président Xi Jinping en 2013 dans le but de promouvoir la connectivité dans la région eurasienne à travers une nouvelle route de la soie, basée sur les « cinq principes de la coexistence pacifique : le respect mutuel de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de chacun, la non-agression mutuelle, la non-ingérence mutuelle dans les affaires intérieures de chacun, l’égalité et les avantages mutuels, et la coexistence pacifique » (2). Au cours des dix dernières années, cela s’est traduit par plusieurs mégaprojets d’infrastructure, mais aussi par des investissements dans le secteur numérique et dans des programmes de sensibilisation des élites, ainsi que par plusieurs initiatives en matière de sécurité collective, bien que toujours formellement guidées par le principe de non-ingérence et de souveraineté des États. Par conséquent, les relations de la Chine avec de nombreux pays africains ont été principalement fondées sur des investissements à long terme et sur la connectivité interrégionale, plutôt que sur une présence militaire expansive, et ont été caractérisées par une modernisation économique visant à favoriser la stabilité, afin de permettre des liens commerciaux encore plus forts à l’avenir. Toutefois, ces investissements ont souvent été associés à un niveau élevé d’endettement des pays africains, ce qui pourrait constituer un fardeau pour le développement économique et la stabilité.

La perception globale des pays africains à l’égard de la Chine est positive, comme le montre l’enquête nationale de 2019-2021 de l’Afrobaromètre. En effet, deux répondants sur trois considèrent que l’aide et l’influence de la Chine sur le continent sont plutôt ou très positives, probablement en raison de plusieurs facteurs. Les investissements chinois sans conditions fournissent des infrastructures, des emplois et une activité économique globale dans les régions concernées, en échange de l’absence de réformes démocratiques ou sociales, en plus de l’influence culturelle exercée par les instituts confucéens et l’échange d’étudiants. En outre, la Chine se présente comme un ordre anti-occidental et anti-règles internationales, ce qui est tentant pour les pays africains favorisant le non-alignement. Cependant, nombreux sont ceux qui expriment encore des inquiétudes quant à l’influence de Pékin sur le continent. La proximité de projets d’investissements directs étrangers (IDE) chinois affaiblit le soutien à l’approche chinoise du développement, au lieu de le renforcer, car elle s’accompagne souvent d’attentes déçues : les entreprises chinoises envoient leurs propres travailleurs et leur versent des salaires plus élevés que ceux des ressortissants africains, sans compter que le transfert de compétences est insuffisant. En outre, l’exploitation par Pékin des ressources du continent et son influence économique et politique omniprésente suscitent des craintes, car elles pourraient être associées à une nouvelle forme de colonialisme. Selon l’Afrobaromètre 2019-2021, la majorité des personnes interrogées qui étaient au courant des prêts chinois et de l’aide au développement accordée au continent s’inquiétaient de l’endettement des pays vis-à-vis de Pékin et pensaient que leurs gouvernements avaient emprunté trop d’argent.

Les liens entre la Russie et les pays d’Afrique se sont développés différemment. Lors du processus de décolonisation, l’Union soviétique a identifié un vide pour exporter son idéologie marxiste-léniniste et pour émerger en tant que superpuissance en soutenant les mouvements de libération, d’abord en Afrique du Nord, puis en s’étendant à la région subsaharienne. Cependant, après la mort de Staline en 1953 et jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Poutine en 2000, l’influence russe a connu un déclin. Dix-neuf ans après le premier FOCAC s’est tenu le premier sommet Russie-Afrique à Sotchi en octobre 2019 (le second date de juillet 2023), qui a marqué une nouvelle approche du président Vladimir Poutine à l’égard du continent, notamment pour éviter l’isolement et alléger les sanctions imposées après l’annexion de la Crimée en 2014.

La Russie a des liens économiques peu profonds avec l’Afrique, avec seulement 14 milliards de dollars par rapport à la valeur du commerce africain avec la Chine, 254 milliards de dollars (3), car son objectif semble être plus à court terme et transactionnel : fournir aux États fragiles du matériel militaire en échange de l’extraction de ressources. En effet, la Russie est le principal fournisseur d’armes du continent, représentant 49 % des exportations d’armes vers l’Afrique au cours de la période 2015-2019 (4). De nombreux navires ont été utiles pour fournir une assistance militaire, notamment des filiales de sociétés-écrans et des sociétés militaires privées (SMP), telles que le groupe Wagner, une unité paramilitaire de mercenaires contrôlée par l’homme d’affaires Evgueni Prigojine. Les SMP sont des entreprises privées et partiellement transparentes. Elles constituent donc pour la Russie une option peu risquée pour fournir une assistance en matière de sécurité, telle que la lutte contre le terrorisme, mais aussi pour former des États faibles et promouvoir des opérations secrètes, en évitant que ces dernières soient directement associées au gouvernement. Ces opérations ont toutefois un effet de contrecoup car elles sapent les compétences de la Russie en matière de puissance douce, notamment vis-à-vis de la Chine et de l’Occident, comme le montre l’expérience du groupe Wagner en Libye, en utilisant des mines terrestres et des armes chimiques qui ont nui aux civils et à la réputation de la Russie (5).

Après l’invasion de l’Ukraine en 2022, Poutine s’intéresse encore plus au continent, car il peut l’aider à atteindre son objectif d’un ordre mondial multipolaire. Cela implique de cibler non seulement l’énergie et les minéraux, mais aussi le potentiel de vote de l’Afrique en tant que bloc dans les affaires internationales, comme à l’assemblée générale des Nations Unies. En 2022, les États africains ont constitué le plus grand nombre d’abstentions lors du vote d’une résolution condamnant l’invasion russe de l’Ukraine. Un alignement entre la Russie et les pays africains est possible parce qu’il est favorisé par une vision du monde anticoloniale et anti-impérialiste, une alternative à l’ordre institutionnel fondé sur des règles prônées par les États occidentaux.

Les perceptions sur la Russie sont plus difficiles à mesurer en Afrique, car le regain d’intérêt du pays pour le continent, et sa présence, est plus récent que celui de la Chine. L’Afrobaromètre 2019-2021 renvoie l’image d’une opinion incertaine ou indifférente des Africains à l’égard de la Russie, puisqu’à la question « pensez-vous que l’influence économique et politique de la Russie sur [votre pays] est majoritairement positive, majoritairement négative, ou n’en avez-vous pas entendu assez pour le dire ? » (6), seul un répondant sur trois a choisi « plutôt ou très positive », tandis que la majorité a choisi l’alternative « je refuse / je ne sais pas / ni l’un ni l’autre ». Les perceptions favorables pourraient être dues aux valeurs déclarées de la Russie en matière de multilatéralisme, d’anti-impérialisme et de non-ingérence, qui sont bien accueillies par les pays africains qui demandent une diversification des liens en matière de politique étrangère. Cela est également lié au rôle de l’héritage soviétique sur le continent, en particulier en Afrique de l’Ouest, où la Russie a apporté un soutien idéologique et matériel aux mouvements d’indépendance anticoloniaux, comme nous l’avons déjà mentionné, et apparaît donc toujours comme un opposant au colonialisme. Dans la région du Sahel, Moscou est également bien accueilli par les gouvernements dans la lutte contre le terrorisme et le séparatisme, en raison de sa fourniture de PMC et de sa présence en tant qu’alternative à la France.

Néanmoins, les opinions défavorables sont plus largement répandues parmi les citoyens ordinaires, qui souffrent des conséquences négatives de la présence militaire de la Russie dans leur pays. Des allégations font état de liens entre le groupe Wagner et des violations des droits de l’homme en République centrafricaine (RCA) et au Mali, avec des rapports faisant état de troupes tuant, torturant et violant des civils (7). En outre, la stratégie de Moscou, basée sur l’élite, est encouragée par des campagnes de désinformation qui visent à coopter et à soutenir des régimes amis et qui privent de leurs droits des milliers de civils qui ne peuvent pas choisir leurs propres dirigeants.

La rivalité Russie-Chine en Afrique 

Après avoir analysé la nature de la présence des deux pays en Afrique, il est maintenant possible d’affirmer que leur relation sur le continent est une rivalité plutôt qu’un partenariat.

Tout d’abord, la Chine et la Russie sont rivales parce que la nature inhérente de leur présence en Afrique est trop différente. La Russie capitalise sur l’instabilité du continent (comme au Sahel, où l’incertitude a augmenté depuis le coup d’État de 2020 au Mali et où les forces de sécurité russes remplacent désormais les troupes françaises de maintien de la paix), tandis que la Chine souhaite maintenir le statu quo en permettant à son commerce de prospérer et aux nouvelles routes de la soie de se développer (8).

Deuxièmement, pour les deux pays, l’Afrique est une assurance pour l’avenir car elle constitue une alternative à l’Occident. Pékin et Moscou se disputent le marché du continent principalement pour ses ressources naturelles. D’abord, parce que l’Afrique est moins exigeante que les pays occidentaux et car le besoin de réduire l’impact des sanctions occidentales en réorientant les activités commerciales se fait sentir. Même si la Russie est économiquement en retard par rapport à d’autres partenaires internationaux majeurs de l’Afrique, tels que l’Union européenne, la Chine et les États-Unis, elle reste un concurrent de la Chine. Cela est visible, par exemple, dans le contexte des projets d’infrastructure chinois en Libye qui pourraient concurrencer les mégaprojets russes tels que la ligne ferroviaire des chemins de fer russes de Benghazi à Syrte, finalement annulée en raison des manifestations des printemps arabes de 2011. En outre, Ozoukou et Lawler (2022) (9) estiment que « les objectifs de chaque pays […] sont intrinsèquement compétitifs, en particulier en ce qui concerne l’exploitation des ressources », ce qui conduit à la définition d’un jeu à somme nulle. Les épisodes signalés d’affrontements entre ressortissants chinois et russes sur les sites miniers en 2021 en apportent la preuve (10).

Les deux pays ne sont pas seulement en concurrence pour des accords commerciaux, mais aussi pour une influence géopolitique plus large, ce qui implique de réduire l’espace des autres puissances internationales en Afrique pour se faire de la place.

Enfin, même si la Chine et la Russie auraient toutes deux intérêt à établir un partenariat en Afrique, il existe encore peu de preuves à cet égard, hormis les déclarations et les manifestations officielles d’amitié, telles que l’exercice militaire conjoint avec l’Afrique du Sud en février 2023, qui sont éclipsées par les faits. Pékin et Moscou sont tous deux alignés sur la non-ingérence dans les affaires intérieures des États, mais ils s’en sont écartés, car la Chine a besoin de protéger ses propres routes commerciales et ses citoyens, et la Russie a fourni une assistance militaire bilatérale en échange d’un accès aux minerais. Par exemple, l’établissement par Pékin de la première base militaire hors du pays à Djibouti en 2017 peut être perçu comme une menace pour la Russie dans l’Asie centrale voisine, où elle est déjà préoccupée par la présence chinoise, et pourrait donc favoriser une rivalité dans la région. Par ailleurs, les vaccins russes et chinois contre la Covid-19, Sputnik V et Sinovac, ont été un terrain de concurrence plutôt que de coordination dans leur assistance sanitaire au continent.

Implications politiques pour les acteurs internationaux

Que la Chine et la Russie soient rivales ou partenaires en Afrique, elles ont toutes deux profité du vide laissé par le désengagement des États-Unis et par l’absence de coordination entre les États-Unis et l’Union européenne sur le continent.

Pour l’Occident, sa présence en Afrique peut être dangereuse, car elle pourrait servir de terrain pour naviguer entre les sanctions et influencer un large bloc international. Toutefois, les États-Unis et l’Union européenne restent des partenaires commerciaux importants de la Chine et de la Russie, ce qui rend plus difficile pour ces deux pays de négliger les marchés occidentaux et de les remplacer complètement par des pays africains. Si leurs relations se transforment en une véritable rivalité, cela leur sera préjudiciable et donc bénéfique pour l’Occident. Si, au contraire, un partenariat de collaboration s’effiloche, cela pourrait être problématique. L’administration Biden l’a bien compris et s’est efforcée de combler le vide laissé en s’engageant à garantir 55 milliards de dollars de nouveaux investissements et en accordant à de nombreux pays un accès en franchise de droits à son économie (11).

Les pays africains devraient s’inquiéter des outils extra-légaux tels que les SMP et de l’entrave à la stabilité et au progrès à long terme due à la priorité accordée par la Russie aux objectifs stratégiques. Si Pékin et Moscou continuent à se faire concurrence, l’Afrique pourrait être de plus en plus soumise à des facteurs exogènes tels que la volatilité des marchés internationaux, les perturbations des chaînes d’approvisionnement mondiales, l’insécurité alimentaire et énergétique, ce qui rendra plus difficile la réalisation de l’Agenda 2063 de l’Union africaine. Toutefois, l’intérêt de la Russie et de la Chine pour le continent pourrait également tourner à leur avantage, car les pays africains pourraient avoir la possibilité de ne pas choisir un partenaire plutôt qu’un autre, mais de tirer parti de plusieurs partenariats simultanément.

En conclusion, la Chine devrait se méfier des menaces accrues qui pèsent sur la sécurité de ses projets et de ses ressortissants, en plus de la concurrence économique, tandis que la Russie devrait être capable de contrer les contrecoups et les revers des interventions du groupe Wagner, sous peine d’être dépassée par la Chine en termes de soft power, comme le montrent actuellement les perceptions des ressortissants africains.

Notes

(1) Ce texte est une version française du texte suivant : Benedetta Coraglia, « Russia-China partnership or rivalry in Africa ? », Eastern Circles, avril 2023. 

(2) Belt and Road Portal (2014) (https://​eng​.yidaiyilu​.gov​.cn/​i​n​d​e​x​.​htm). 

(3) Beatrice Bianchi, Audu Bulama Bukarti, Emman El-Badawy, Sandun Munasinghe, « Security, Soft Power and Regime Support : Spheres of Russian Influence in Africa », Tony Blair Institute for Global Change, 23 mars 2022 (https://​rb​.gy/​x​5​34w).

(4) Pieter D. Wezeman, Aude Fleurant, Alexandra Kuimova, Diego Lopes Da Silva, Nan Tian, Siemon T . Wezeman, « Trends In International Arms Transfers, 2019 », SIPRI Fact Sheet, mars 2020 (https://​rb​.gy/​3​q​d76). 

(5) Beatrice Bianchi et al.op. cit.

(6) Josephine Apiah-Nyamekye Sanny, Edem E. Selormey, « AD489 : Afrobarometer Dispatch No. 489 : Africans welcome China’s influence but maintain democratic aspirations », Afrobarometer, 15 novembre 2021 (https://​rb​.gy/​c​n​ow7). 

(7) Catrina Doxsee, « Wagner : the Cornerstone of Russia’s Strategy in Africa », ISPI, 23 décembre 2022 (https://​rb​.gy/​c​4​e5i). 

(8) Samuel Ramani, « Russia and China in Africa : Prospective Partners or Asymmetric Rivals ? », South African Institute of International Affairs, Policy Insights, n°120, décembre 2021 (https://​rb​.gy/​z​b​jyo). 

(9) Daniel Ozoukou, Lawler Timothy, « Russia and China strategies in the Central African Republic », African Journal of Political Science and International Relations, 16(2), avril-juin 2022, p. 43-51 (https://​rb​.gy/​i​2​omv). 

(10) Chief Bisong Etahoben, « Chinese And Russians Clash At Mining Sites In Central African Republic », HumAngle, 1er mai 2021 (https://​rb​.gy/​l​1​nle). 

(11) Christopher Condon, Michael Cohen, « Yellen Has Tough Act to Follow as Russia, China Woo Africa », Bloomberg, 24 janvier 2023 (https://​rb​.gy/​1​c​mhk).

Source: www.areion24.news


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